La dépression : tabou dans le sport de haut niveau

On admire un(e) champion(ne) sans se douter que parfois les raisons de sa hargne de gagner se logent dans une blessure intime. Cela peut être, par exemple, le décès d’un membre de la fratrie qui fait naître beaucoup de culpabilité et fait imploser la famille. Chacun essaie alors de se sauver et de trouver un peu d’oxygène et parfois c’est le sport qui permet de ramener de l’espoir dans la famille.  Le sport devient alors un compagnon, un refuge pour soigner les plaies qui se cicatrisent superficiellement dans les victoires ou la reconnaissance. 

Le/ la sportif(ve) veut se créer un personnage, quelqu’un de fort, de combatif.  Peu à peu le sport fait son travail en se  focalisant sur des objectifs à atteindre, l’agir étant la seule façon de ne pas penser mais cela ne lui permet pas de faire le deuil.  

Dés années plus tard, une blessure, un divorce ou une autre disparition viennent réactiver cette plaie et laisse apparaître une fragilité insoupçonnée. 

Car sa jeunesse s’est fait au prix de nombreux sacrifices sur la vie de famille et sur la vie sociale. Tout était consacré au sport, il/elle a été formé(e) comme un corps à travailler pendant des heures durant. et au prix de paroles parfois très difficile à entendre car il faut « coller » à cette image de force, de combativité, à l’image du sport pratiqué, ne laissant pas de place à l’ individualité et aux émotions. Le sportif de haut niveau a peu à peu disparu vers un personnage médiatique faisant rêver, il n’a pas eu le droit d’être « faible » car « Dans l’imaginaire, les champions sont invulnérables, on imagine qu’ils ne sont que des sportifs, mais ils ont eu une vie, une enfance, parfois des traumas ».

« Dans l'imaginaire, les champions sont invulnérables, on imagine qu'ils ne sont que des sportifs, mais ils ont eu une vie, une enfance, parfois des traumas ».

Or, la souffrance a été acquise dès le plus jeune âge, elle est  considéré comme normale, parfois nécessaire et c’est même vu comme un facteur d’efficacité et de performance. Mais s’épancher sur son mal-être est plus compliqué.

Alors un jour, tout bascule tout revient à la surface comme une lame de fond entrainant le sportif de haut niveau vers la dépression.

Nous pouvons définir la dépression selon deux points de vue différents et complémentaires : un point de vue descriptif c’est-à-dire comme un ensemble de symptômes observables sans s’occuper de la cause ; et un point de vue psychanalytique qui, au contraire, la définit précisément en relation avec les causes qui la provoquent et les mécanismes inconscients qui l’expliquent.

Du point de vue descriptif, la dépression est un ensemble de neuf signes cliniques qui composent le syndrome dépressif type. Ne notez qu’aucun des symptômes énuméré ne suffit à lui seul pour affirmer qu’il existe une dépression. Il faut au moins cinq symptômes flagrants, présents simultanément pendant deux semaines, pour envisager un trouble dépressif.

Au moins cinq symptômes flagrants, présents simultanément pendant deux semaines, pour envisager un trouble dépressif.

1. La tristesse est le signe dominant dans le vécu du patient déprimé, mais attention, il s’agit d’une tristesse bien différente de la tristesse normale. La tristesse dépressive, qui s’immisce sournoisement comme un brouillard dans l’âme, est une émotion douloureuse, pesante, mêlée d’anxiété et d’angoisse, de susceptibilité et d’aigreur ; ce n’est pas une tristesse sereine, elle est amère et tourmentée. À la différence de la tristesse ordinaire, la tristesse dépressive est permanente, difficilement réductible, et inhibitrice de l’activité affective, mentale et physique du sujet. C’est une tristesse sans motif repérable. Le ressenti de cette tristesse, peut aller de la simple humeur morose qui dure plusieurs semaines au dégoût de soi, et du dégoût de soi au désespoir profond.

2. Parfois la tristesse n’apparaît pas en tant que telle et se traduit chez le patient dépressif par une irritabilité exacerbée, le dépressif se fâche facilement, il est fréquemment énervé, iraccessible, susceptible et récriminateur contre ses proches et contre lui-même. C’est ainsi que la tristesse se présente souvent masquée sous la colère ou l’agressivité. Mais que la tristesse soit franche ou masquée, elle se nourrit toujours chez le déprimé d’un obsédant et autodévalorisant repli sur soi. Voilà le deuxième symptôme caractéristique de la dépression : le dépressif ne cesse de ressasser les raisons de son malheur.

3. Un troisième signe qui accompagne la tristesse et le repli négatif sur soi, est la perte d’intérêt pour tout ce qui lui est extérieur. Il délaisse le sport, son partenaire, ses enfants, ses amis. C’est le moment où le déprimé déclare qu’il n’a envie de rien, ni d’amour, ni de voir personne. En fait, il n’a pas perdu seulement le désir ou l’envie de vivre, il a perdu aussi la faculté de ressentir intérieurement la présence du désir.

4. La fatigue et la lassitude lui  donne l’impression d’être épuisé du matin au soir. Un ralentissement global dans tous les registres de la vie quotidienne se fait ressentir. Les troubles de l’attention, de la concentration et parfois de la mémoire apparaissent. Un autre signe clinique, alarmant celui-là, sont les idées suicidaires souvent informulées.

Comment prévenir la dépression chez le sportif de haut-niveau?

Le sport de compétition inclut l’exigence, une exigence que la psychanalyse explique par un surmoi prégnant pouvant avoir un potentiel dévastateur. Dans le sport, l’impératif est d’ aller au plus extrême de soi, être toujours à l’affût de ses limites, les repousser au plus loin. Le surmoi impose, dicte alors sa loi. Il « parlera » singulièrement durant les entraînements, pendant « l’épreuve » sportive. Alors sport et dépression ? Celle-ci survient quand il n’y a plus aux commandes, qu’un surmoi tyrannique face à un sujet qui en est devenu l’objet. La fatigue, l’humeur triste, l’absence de projets vivifiants pointent alors et révèlent le masque de ce que l’exigence mal entendue peut avoir de mortifère.

Un travail personnel permet de garder la dimension humaine dans les phases d’entrainements.. C’est apprendre à gérer les défaites, les situations anxiogènes. C’est développer ses compétences et habilités qui permettent d’affronter les difficultés et de renforcer ses atouts. C’est aussi apprendre à reconnaître et réguler ses émotions car la performance est fragile mais précieuse et s’appuie sur des réponses complexes et multifactorielles. Il est donc important de pouvoir assurer un équilibre sans cesse menacé par le rythme de vie, les blessures, la concurrence, la performance et les difficultés de la vie privée car le sportif est avant tout un être humain.

Quelques axes de travail thérapeutique :

1. L’histoire personnelle permet d’aborder le contexte particulier dans lequel il/elle a grandi et fait éclore la subjectivité du sportif par rapport à sa propre histoire. Cela permet de comprendre que la dépression s’accroche et s’enracine vers des souffrances lointaines. Aborder le passé, c’est donc retrouver de nouvelles explications, poser un autre regard en prenant plus de distances avec les évènements. C’est travailler sur son intériorité et apprendre à se connaître, remettre du mouvement dans son histoire de vie, retrouver le moteur de ses motivations.

2. La construction du rapport au corps car la dépression s’accompagne souvent d’un amaigrissement ou au contraire d’une prise de poids donnant une image qui ne correspond plus à l’image du sportif/sportive. Il était jusqu’ici étalonné, instrumenté et contrôlé quotidiennement. Lors de la dépression le corps se méforme et il est alors vécu comme une trahison, le corps devient défaillant comme un traître.  Or le corps a besoin de s’exprimer en imposant à son tour une « écoute » de la part de celui qui l’habite.  Le corps performant souvent privé de son droit à la sensibilité, choisit à travers la dépression, d’exprimer la seule liberté qui lui reste.

3. Le travail sur les émotions négatives est peu abordé par les sportifs de haut niveau. Or ressentir des émotions, positives ou négatives est légitime et même nécessaire à toute bonne santé mentale. Certaines pensées liées aux rôles des émotions ou certaines conceptions de soi constituent des obstacles au processus émotionnel. En effet, le sportif ne se donne pas le droit de ressentir de l’impuissance, de la tristesse, de la vulnérabilité. Malheureusement, cette fermeture renforce les symptômes de la dépression. Le travail permettra alors de pouvoir les identifier, les analyser et comprendre les réactions. Les gérer comme un baromètre et pouvoir intervenir tant qu’il en est encore temps.

4. L’idée de sacrifice prend aussi son sens dans le sport et s’articule avec l’idée de réussir ou pas dans sa pratique. Le travail psychologique permet de parler de ces sacrifices et rétablir l’équilibre entre l’idée de « sacrifices » et de « choix » pour retrouver sa place dans son projet personnel et professionnel. 

Pour conclure, la dépression est comme un lieu figé sur une vieille photographie en noire et blanc. Faire un travail thérapeutique c’est donc remettre de la couleur, du mouvement, remplir le vide par de la vie, de l’estime de soi et des émotions.

Pour en savoir plus:

Sportmag : Raphaël Poulain : « Désacraliser la vulnérabilité chez les sportifs de haut-niveau – 25 septembre 2022

La Médecine du Sport : Pratique sportive intensive et risques psychopathologiques – Meriem Salmi – Service Médical de l’INSEP.

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